
DANS CE NUMÉRO:
- PLEINS FEUX: Rachelle Scott, Plasticienne
- EN GUISE D’ÉDITORIAL: Haiti Chérie [Esther Pierre-Louis]
- SAK PASE, AYITI: Des goutelettes sans gout [Vivianne Gauthier]
- THROUGH THE GRAPEVINE: La vie dans les Bateys [Emmanuelle Gilles] | Une marchande en uniforme [Marc Accimé] | La réalité de l’âme [Carl Gustave Jung] |
- POÉTISONS: Alléluia! [Maryse C. Elysée] | Ti koutwazi pou manman’m [Wanga Nègès]
- IDÉES DE LECTURE & LOISIR: L’amour & le courage dans trois romans de Margaret Papillon [Le Nouvelliste]
Je m’en voudrais si je laissais passer l’occasion de la commémoration de la Bataille de Vertières sans reproduire cette note patriotique de mon amie, Esther Pierre-Louis. Esther est une météorite dans le ciel spirituel, intellectuel haïtien. C’est donc un privilège pour quiconque qui a le bonheur de lire ses écrits. Sans plus de préambule, je vous laisse pour délecter une lecture de très grande qualité.
Esther Pierre Louis – 7 novembre 2013
NOUS SOMMES HAÏTIENS, et nous en sommes fiers. Sans insolence et sans orgueil. Fiers d’être Haïtiens, au-delà des escroqueries de la nationalité discrétionnaire ou des prétentions chauvinistes. Le jingoïsme, nous ne l’aurions pas inventé… Et nous troquons avec respect les biscuits de terre cuite de nos mornes décalées, contre votre fleur de farine. Merci, merci beaucoup. Mais tous les griots ne sont pas morts, alors, méfiez-vous des versions officielles de notre Histoire.
Haïtiens, nous portons l’opprobre de notre pays comme une fleur à notre boutonnière. Et chaque matin, nous paraphons la vie du sang vif de nos blessures secrètes. Nous sommes les marrons de l’esclavage et du syllabaire ; les ronces tenaces des embargos et de l’exploitation. Notre passé nous a glorieusement arrachés de l’anonymat, nous, immolés en permanence sur la roue supplicatrice de l’histoire. Nous survivons avec acharnement désastres après calamités, plus que déterminés à vivre notre part de rêve sur la terre des hommes. Les pieds dans la fange et la tête pleine de musique, nous cultivons l’art d’espérer et de lutter au quotidien, éperonnant la vie sous le soleil du Bon Dieu.
Nous résistons encore au génocide culturel, luttant pour la sauvegarde d’une estampille d’authenticité et d’originalité à nos expressions artistiques et culturelles.
Participants de l’universel, nous gardons nos racines solidement enfoncées dans le berceau de l’humanité, case départ de toutes les civilisations. Nous embrassons sans ambages notre accent, notre mise (trop) recherchée, notre gesticulatoire, (Béninoise?), une prédilection justifiable à notre cuisine, et nos interminables polémiques sur la politique et le football. Ce qui est Haïtien se sait.
NOUS SOMMES HAÏTIENS. Entrepreneurs de carence, gérants de toutes les extrêmes, résistants dans l’adversité, optimistes dans l’avenir, fervents dans la foi, sacrificiels dans le devoir et le service, créatifs dans le malheur, et philosophes dans l’épreuve. Difficile de nous adapter aux schémas traditionnels. Notre terre, c’est HAITI CHERIE. D’ailleurs, «Se Sanba lakay nou sèl ki ka rele peyi yo Cheri» (Emeline Michel). Suède Chérie? Jamaïque Chérie? America Darling? Please…
Sur toute passerelle jetée sur les fissures du temps ou les cratères de l’espace, nous avançons. Sous l’écarlate de l’ignominie et la toxicité des Khian Sea, nous émergeons. Sous l’hypocrisie des faux-amis, la cruauté des dictateurs-apprentis, les politiques mort-nées et les projectiles fratricides, nous survivons. Sous l’eau, sous le feu, sous le sang, sous les traitreuses décombres des abris effondrés, nous renaissons.
NOUS SOMMES HAÏTIENS, et nous vous offrons de tout : de notre sol, sous-sol et de nos rivages ; de nos semailles et de nos moissons de nos hommes, nos femmes, et de nos enfants ; de notre culture et de nos cerveaux ; de notre sueur et de notre sang. Mais de notre passé, de «ce versant intérieur de notre être », et de l’avenir que nous forgeons à grand coups de couteau digo, nous ne le partageons qu’avec NOUS. You would not understand; it’s a Haitian thing…
Des gouttelettes sans goût
Le Nouvelliste | Publié le 28 janvier 2013 par Vivianne Gauthier
Madame Gauthier n’est pas allée de main morte avec les élucubrations du spiralisme, cette théorie littéraire qui a opéré un rapt en bonne et due forme sur la littérature haïtienne depuis les années 60. Au risque d’offenser nos demi-dieux écrivains et de risquer leur courroux et vengeance, elle a osé dire ce que d’autres professent dans le silence de leur cœur. J’admire le courage de cette dame et lui rends grâce pour m’avoir dessillé les yeux, moi qui nourrissais l’idée qu’une trop longue absence du monde de l’écriture m’avait privée de la faculté de saisir les nuances d’un texte truffé d’allégories. Pour toute la beauté de la plupart de ces splendides rédactions, leur essence m’échappe et la communication avec l’auteur demeure au niveau esthétique, faisant du message un mystère insondable. C’est bien que le lecteur puisse jouir du privilège d’interpréter l’œuvre à sa façon, d’après ce que j’ai ouï dire, mais j’aimerais quand même pouvoir capter l’esprit originel du texte, comprendre le pourquoi derrière sa conception. L’article de Mme. Gauthier m’a inspirée ce gogyohka que j’aimerais bien partager avec vous.
LA VIE DANS LES BATEYS
by Emmanuelle Gilles
La vie dans les Bateys, n’est-ce pas un leurre que la vie leur sourit mieux! N’ont-ils pas été propulsés de force dans cette vie de ségrégation sociale et de terreur! Alors qu’ils touchaient et touchent peu et vivaient et vivent encore dans des conditions infrahumaines, les gouvernements successifs, eux ont touché gros, sans la moindre gêne pour chaque tête de «bétail» on dirait. Ont-ils des remords? Et avec quelle figure défendent–ils les droits des Haïtiens en République voisine? L’irrespect envers les Haïtiens émane des actions de ces soi-disant leaders. Un peuple sans éducation, sans logement décent, sans travail, sans soins de santé, réduit à l’esclavage – vendu par leurs frères par cupidité et méchanceté, sera toujours vu comme un paria partout dans le monde! Aucun, durant les décennies de ce trafic n’a pris les rues pour protester contre cette injustice envers ce peuple torpillé pendant trop longtemps. Ils sont noirs donc on s’en fout! Il vaudrait mieux les réserver pour faire du “Kraze Brize” sur commande. Leur péché, ils sont trop noirs sur la terre des indiens conquis par Dessalines. Qu’était donc Paul Eugene Magloire, Marc Bazin, Jean Price Mars et Jacques Stephen Alexis et n’en passe? Ces mouvements que je constate à travers les forums, est-ce le commencement d’un réveil? Ou la nationalité Dominicaine, est-ce l’ultime destination ou réparation? Quelle est la différence entre la traite des esclaves par les Africains et la traite des coupeurs de Cannes dans les Bateys Dominicains par des Haïtiens? Tous deux complices d’avarice! Cette fierté d’avoir lutté contre l’esclavage est vaine quand nous avons rétabli l’esclavage dans cette île à travers ce traffic d’humains vendus et livrés à des travaux forcés massacrant doublement Toussaint Louverture. On trouve que le noir est laid savez-vous pourquoi? Parce que la pauvreté et l’exclusion le rend laid. Demandez à Oprah Winfrey, elle vous le dira. Notre fierté de peuple noir, nous la regagnerons lorsqu’on aura reconnu la valeur de chaque tête de nègre sur notre territoire sans distinction de classe et lorsque nous leur accorderons accès égaux dans la charte sociale!
UNE MARCHANDE EN UNIFORME
Par Marc Accimé Sur la route de Laboule, au haut de Pétion Ville, elle étale son petit négoce. Elle s’appelle «marchande» et elle est fière d’être adressée ainsi par les gens du quartier qui l’approchent à crédit ou au comptant pour les provisions alimentaires. Les négociations devant amener au juste prix sont souvent difficiles. Le ronflement des engins lourds et les avertisseurs tonitruants des tap-tap, ajoutés aux cris et aux bavardages de ses pairs, entrainent un rythme discordant créant une musicalité peu harmonieuse.A l’étalage, il y a un peu de tout: du céréal de toute sorte, des légumes, des végétaux, des épices et de la viande. A côté, il y a un hangar destiné à l’arrimage du charbon.
L’essence de ce récit n’est en aucun cas d’encourager la vente du charbon résultant de la coupe des bois. Dans ce pays où le déboisement rend la terre désolée et improductive, cela entrave la production agricole et, en même temps, réduit la couverture végétale qui, déjà, était à moins de 20%, selon les statistiques disponibles en 1986.
Il s’agit plutôt de saluer son courage et sa détermination de réussite par des félicitations, et d’applaudir sa consistance dans le maintien d’une double activité. Orpheline de père et de mère, elle est marchande de rue et écolière en classe de philo. Elle s’oriente dans le commerce pour subvenir aux besoins de ses études.
Haïti, terre de feu et d’un soleil de plomb, est aussi une terre de clivage, de clans et de groupuscules, de «ôte toi que je m’y mette», de main-mise et de paternalisme. La politique y est la seule industrie rentable et les débats sectaires et intéressés accentuent davantage la mauvaise gouvernance qui prend la forme d’une routine. Terre de beauté, de jeunesse et de sourires malgré la chaleur accablante de la misère, elle a presque tout mais elle n’offre pas plus que rien. Rien aux moins favorisés, rien aux démunis qui continuent de croire au miracle que demain peut être meilleur.
Pourtant, comme tous les enfants d’Haïti, cette marchande-écolière traine derrière elle une longue histoire. Petite fille de combattants réunis sous les ordres de Dessalines, son legs du lion lui a été échappé, contesté ou volé.
La compréhension de son environnement et son adaptation au milieu ambiant sont les motifs de sa prise de conscience. C’est bien celle-ci qui supporte et garantit le respect qu’elle voue à elle-même. Elle se lève tôt les matins en uniforme. Hier, elle composait en algèbre et en trigonométrie.
Ce petit négoce qu’elle entreprend en vue d’embellir son intelligence est une action convaincante qui devrait toucher, pour le moins, la sollicitude des acteurs qui prônent le développement socio-économique par l’éducation et la petite entreprise.
(marcaccime, 18 déc. 2013)
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La réalité de l’Âme – Carl Gustav JUNG
“On ne peut savoir s’il ne se passe rien après la mort… Nous ne savons tout simplement rien de scientifiquement déterminé sur ce point. Ici, ma conscience de médecin se réveille pour apporter à cette question une contribution essentielle. J’ai remarqué en effet qu’une vie orientée vers un but est, en général, meilleure, plus riche, plus saine qu’une vie sans but, et qu’il est préférable de progresser avec le temps que de vouloir remonter son cours. Pour le psychiatre, le vieillard qui ne veut pas renoncer à la vie est aussi faible et maladif que le jeune homme incapable de s’élever. Il s’agit en effet, dans bien des cas, de la même convoitise infantile, de la même crainte, du même entêtement. […] C’est pourquoi je trouve fort raisonnable toutes les religions qui ont un but supra-terrestre. […] Du point de vue psychiatrique, il serait bon que nous puissions penser que la mort n’est qu’une transition, une phase dans un grand et long processus vital que nous ne connaissons pas. […] La très grande majorité des hommes a, de tout temps, éprouvé le besoin de croire à la survivance. Notre constatation ne nous a donc pas conduits en dehors, mais au milieu de la grande voie stratégique de la vie humaine. Nous agissons dans le sens de la vie quand nous pensons qu’elle surmonte la mort, même si le sens de cette pensée nous échappe. Comprenons-nous jamais ce que nous pensons? Nous ne comprenons que cette pensée qui n’est qu’une parabole, d’où ne sort jamais rien de plus que ce que nous y avons mis. Tel est notre intellect. Mais au-dessus, il existe une pensée qui revêt la forme des grandes images primitives. Plus vieilles que l’homme, innées en lui depuis des siècles reculés et survivant à toutes les générations, remplissant de leur vie éternelle les plus lointaines profondeurs de notre âme. La vie n’est possible dans toute sa plénitude qu’en accord avec elles. Il ne s’agit en réalité, ni de foi, ni de savoir, mais de l’accord de notre pensée avec les images premières de notre inconscient, mères inaccessibles à notre …conscience. Or, la vie par-delà la mort est une de ces images primitives. […] Nous pensons comme l’humanité a toujours pensé. […] C’est là le seul terrain solide dans l’obscure mer du doute.”
L’amour et le courage dans 3 romans de Margaret Papillon
Le Nouvelliste
Mon amie, Margaret Papillon, à l’honneur dans Le Nouvelliste. Il était grand temps. Heureusement, que les lecteurs avisés ont su dépister les œuvres de cette écrivaine de classe et ont choisi d’adopter cette lecture fascinante envers et contre tous. Félicitations Margaret Papillon! Que du succès sur ta route dorénavant!
Alléluia pour tous ceux qui font fi de l’ostracisme des grands
Pour psalmodier à l’encontre de toute arrogance incongrue
Toute déficiente litanie d’images saugrenues
Qui s’égrène en chapelet de couleurs et de sons éblouissants!
Alléluia! Tout espoir de voir dans le brouillard n’est pas mort.
© Goghoka de Maryse C. Elysée – 2013
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